Le blog de l’alimentation crue
Problèmes rénaux chez le chat et la viande crue
Le chat est un hypercarnivore, et manger de la viande pour lui c’est un usage. Mais ce régime est-il à l’origine des problèmes rénaux chez le chat ?
Ce mois-ci, nous vous proposons un article rédigé par le Dr Pascal Corlay, vétérinaire spécialiste du chat à Paris. Retrouvez l’article complet et d’autres articles sur son blog.
Faut-il avoir peur de la viande pour les reins des chats ? – Dr Pascal Corlay
« Très en vogue, les régimes hyper-protéiques ont des vertus incontestables chez l’homme. Notamment, ils permettent un meilleur contrôle du poids. Plusieurs études bien documentées le confirment, mais elles pointent aussi les risques potentiels pour le squelette et la fonction rénale. Toutefois, le chat est un hypercarnivore, et manger de la viande pour lui n’est pas une simple mode, c’est un usage. De plus, son squelette semble à l’abri des fractures du col du fémur, qui ne concernent que les chats « parachutistes ». Cependant, il est de notoriété publique que les reins sont le point faible des chats, surtout en vieillissant. Alors est-il judicieux de limiter le recours à la viande pour prévenir ce risque ?
Erreurs et confusions autour de la viande
Depuis près d’un siècle, on sait que les protéines augmentent le débit de filtration au niveau des reins. Il était donc légitime de penser que cela puisse « fatiguer les reins » sur le long terme. En fait, cette hyperfiltration rénale est un mécanisme de régulation normal en présence d’une overdose protéique, de même que le pancréas sécrète davantage d’insuline lors d’un repas riche en sucre. Finalement, à ce jour, toutes les observations ont montré l’absence d’impact négatif de régimes riches en protéines sur la fonction rénale des animaux sains. Une étude récente a même montré que la consommation accrue de protéines chez le chat aboutissait à une légère diminution du taux de créatinine dans le sang (1). […]” Point info :
La créatinine est sécrété par les muscles et le foie. Elle est ensuite dégradée par les reins. Une baisse de la créatinine dans le sang indique un meilleur fonctionnement des reins.“ On avait déjà fait cette observation paradoxale avec des chats « néphrectomisés » à 80 %. Cet essai est le seul à être correctement randomisé et contrôlé avec un lot témoin (2). Deux lots de chats, respectivement nourris avec 27,6 % et 51,7 % de protéines par rapport à la matière sèche, furent comparés après une période d’un an. Et bien, les marqueurs de la fonction rénale (débit de filtration glomérulaire et créatinine) étaient meilleurs pour les chats nourris avec le régime le plus protéique ! L’urée est aussi à l’origine de confusion. Trop d’urée pour bon nombre de propriétaires de chat est synonyme d’insuffisance rénale. En effet, l’urée participe à l’élimination des déchets protéiques non utilisés par l’organisme. Elle est synthétisée dans le foie puis filtrée de façon passive (avec l’eau) par les reins. Toutefois, plus votre chat consomme de protéines, plus son taux d’urée a des chances d’augmenter sans pour autant que ses reins en souffrent. Car l’urée constitue un déchet normal. […] ”
Les marqueurs des problèmes rénaux chez le chat
L’urée et la créatinine sont deux biomarqueurs qui caractérisent la fonction rénale. Ainsi, lorsque la fonction rénale est altérée, l’urée et la créatinine ont tendance à s’accumuler dans le sang. […][…] Mais le plus surprenant est que l’urée n’a aucun effet toxique pour l’organisme, même à des niveaux élevés. Toute la communauté néphrologique s’accorde sur ce point. C’est la même chose pour la créatinine. Cela explique pourquoi les vétérinaires rencontrent parfois des chats quasi asymptomatiques avec des taux hallucinants de créatinine.En fait, il existe d’autres déchets métaboliques responsables du syndrome urémique. Ce sont les toxines urémiques […] Les plus petites sont souvent des molécules solubles dans l’eau (phosphates, oxalates…). Alors que les plus grosses se lient aux protéines sanguines. L’importance de ces dernières est probablement sous-estimée. […] ”
Les toxines urémiques ne proviennent pas forcément de la viande
A ce jour, on ignore quasiment tout de ces toxines chez le chat. Elles proviennent probablement en partie de l’alimentation, mais rien n’est démontré. Ainsi, il se peut que seules certaines protéines alimentaires soient responsables de la fabrication de toxines. Chez l’homme, ces toxines sont aussi produites dans le corps en lien avec du stress oxydatif ou des maladies inflammatoires chroniques. On sait aussi que bon nombre d’entre elles sont synthétisées par les bactéries du gros intestin (composés indoliques et phénoliques). D’où l’intérêt qu’il peut y avoir à renforcer la barrière intestinale, pour empêcher le passage de ces composés toxiques. La flore bactérienne et le mucus sont les principales composantes de cet effet « barrière », et la viande les favorise probablement.De plus, en vieillissant, la destruction des protéines (le catabolisme) prend le dessus sur la synthèse protéique (l’anabolisme). Ce dérèglement pourrait aussi être générateur de toxines urémiques. Finalement, on se focalise sur un éventuel effet toxique des protéines (et notamment de la viande) pour les reins, alors qu’il faudrait plutôt élucider les mécanismes qui génèrent ces toxines. ”
Le phosphore et les problèmes rénaux chez le chat
Toutefois, si la fausse bonne idée d’une restriction protéique pour les chats âgés commence à faire son chemin, un autre suspect est montré du doigt. Il replace la viande au banc des accusés. C’est le phosphore. Cette toxine urémique est la plus « visible », mais a-t-elle un rôle déterminant dans le vieillissement rénal ? En effet, la viande (comme le poisson) est très riche en phosphore. Et chez les chats en bonne santé, le taux de phosphore dans le sang est régulé principalement par les reins. Lorsque les reins sont défaillants, l’élimination du phosphore en excès est compromise. La phosphorémie augmente, et il a pu être démontré que cela allait de pair avec une espérance de vie moindre. Dans le cas des chats à des stades avancés d’insuffisance rénale, la limitation du taux de phosphore dans l’alimentation semble les préserver de certaines lésions rénales (minéralisation, fibrose, infiltration par des cellules inflammatoires). C’est pourquoi la restriction du phosphore s’est imposée comme une mesure incontournable du suivi des chats insuffisants rénaux. Alors faut-il faire la chasse au phosphore chez les chats sains, à titre préventif ? Non, c’est injustifié. Même si bon nombre de chats âgés sont des insuffisants rénaux qui s’ignorent. Un essai très récent a tenté de démontrer l’intérêt d’une restriction « raisonnable » en protéines et en phosphore (3). Il portait sur des chats de plus de 9 ans, et a duré un an et demi. C’est probablement trop court comme durée, mais ce n’est pas le seul point faible de cette étude. Néanmoins, les auteurs concluent que ce régime modérément restrictif n’a pas d’effet bénéfique pour la fonction rénale des chats âgés en bonne santé. […] ”
Un taux de phosphore contrôlé pour les chats âgés…
Si chasse au phosphore, il devait y avoir pour les chats âgés, sains, elle ne devrait pas se faire sur l’ensemble de la ration alimentaire. Une diminution globale du phosphore va de pair avec une restriction protéique, et cela expose les chats à une dénutrition susceptible de diminuer leur longévité. De plus, passés douze ans, les chats digèrent moins efficacement les protéines et les matières grasses, alors que justement, leurs besoins caloriques et protéiques augmentent. Pour aggraver la situation, certains chats âgés montrent une baisse d’appétit.
C’est pourquoi des détracteurs des régimes classiques « pour insuffisants rénaux » vont jusqu’à proposer d’augmenter le niveau des protéines dans l’alimentation des chats âgés ou insuffisants rénaux, afin d’inverser cette tendance. […]Mon expérience quotidienne m’inciterait à me rallier à la nutrition « hybride ». La nutrition « hybride » associe les aliments industriels et les aliments naturels. Elle est tout à fait adaptée à cette tranche d’âge, à condition d’avoir recours uniquement à des aliments humides, bien sûr. Ainsi, on choisira des pâtées « pour chats âgés » qui affichent un taux de protéines suffisantes (> 35 %) et un taux de phosphore réduit, mais pas trop (environ 0,7 %). En outre, je pense aussi qu’il faut éviter les aliments riches en protéines végétales, ainsi que les aliments dits complémentaires pour les chats âgés. ”
… sans renoncer aux bienfaits de la viande
Pour la partie « aliment naturel », on a donc tout intérêt à privilégier l’unique source de protéines et de matières grasses d’une qualité exceptionnelle pour le chat, la viande. La viande est la meilleure supplémentation existante (et la plus naturelle) en acides aminés indispensables pour le chat. Même en quantité réduite, elle est susceptible d’avoir un effet anabolisant en contrant le phénomène de fonte musculaire des vieux chats. […] Ainsi, l’alimentation hybride (avec de la viande) permet de contrôler le taux de phosphore, sans prendre le risque de carencer les chats âgés en acides aminés essentiels. Ce qui est le cas avec une alimentation hypo-protidique. Et dans les stades plus avancés d’insuffisance rénale, elle permettra aussi de réduire les symptômes d’urémie. ”
Le mot de la faim
Aucune étude n’a pu montrer que les protéines alimentaires apportées par la viande sont contre-indiqués lors de problèmes rénaux chez le chat. Mais en revanche, il existe de nombreuses preuves qu’un régime pauvre en protéines est nocif, entraînant la perte de masse musculaire. Ce n’est qu’à partir d’un stade avancé de maladie rénale chronique que se pose la question d’ajuster ou non l’apport en protéines alimentaires. Plutôt que l’apport en protéines, c’est l’apport en phosphore qui doit être contrôlé chez le chat âgé. Et plutôt que la quantité, c’est la qualité des protéines qui importe. Et sur ce point précis, la viande fraîche n’a pas d’égal. ”
Extrait du blog Diététichat du Dr Pascal Corlay.
Le Dr Corlay est aussi l’auteur d’un livre sur l’alimentation de nos chats : “Pour en finir avec les croquettes pour chats”.
Références: (1) Backlund B. and al. Effects of dietary protein content on renal parameters in normal cats. Journal of Feline Medicine and Surgery (2011) (2) Finco D.R .and Al. Protein and calorie effects on progression of induced chronic renal failure in cats. Am J Vet Res (1998) (3) R.F. Geddes and Al. The Effect of Moderate Dietary Protein and Phosphate Restriction on Calcium-Phosphate Homeostasis in Healthy Older Cats. J Vet Intern Med 2016.